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  • Conseillé par (Libraire)
    31 octobre 2020

    Un Cézanne plus vrai que nature

    " C'est un vieil homme à la moustache épaissie par la morve, à la barbe raide de graisse mouton (...) On dirait un forgeron invité à la remise de diplôme de sa nièce ."

    L'année avait pourtant bien commencé avec un nouveau roman de Mika Biermann... Une des lectures les plus réjouissantes d'avant le confinement est en effet paru en janvier. Il s'agit du neuvième texte de cet auteur allemand.

    Installé à Marseille, où il travaille comme guide dans un musée, tout ses romans sont rédigés directement en français.

    Une particularité de son œuvre et sa grande diversité : son précédent roman Roi. se rattache au péplum car se déroulant dans l'antiquité romaine, Booming est le premier et unique western "quantique", Un blanc est un roman d'aventures carnavalesque en Antarctique.
    Il le dit d'ailleurs très simplement: " qui aimerait déballer le même cadeau à chaque anniversaire ?"

    Tout est cette fois-ci dans le titre. Trois jours dans la vie du peintre qui va se retrouver confronter à un fait divers (fictif). Loin de tresser des lauriers et de verser dans l'hagiographie facile et poussive, Mika Biermann s'attache à exposer les conditions matérielles de création d'une œuvre et la vie de Cézanne dans ce quelles ont de plus terre à terre. Une crudité et de fraîcheur que l'on retrouve dans des scènes aux dialogues brut de décoffrage.

    Son roman le plus "sérieux" à ce jour, où il expose plus particulièrement une propension à la description de scènes picturales, dans une Provence pas encore touchée par l'industrialisation. Un écrivain facétieux et espiègle dont on ressent à chaque page le plaisir qu'il a à écrire, ça ne se refuse décidément pas.

    " Une chouette hôle: sous de lointains toits un écrivain invente une histoire rien que pour utiliser ce verbe une fois dans sa courte vie."

    Martin


  • Conseillé par (Libraire)
    22 juin 2020

    Court mais percutant

    Avec ce texte surprenant Mika Biermann nous invite à découvrir le peintre d’Aix en Provence dans son intime personnalité. Un récit court pour une description foisonnante. Et profonde.

    Eric

    C’est une silhouette un peu pataude, mal fagotée, négligée. Lorsque l’on s’approche on sent même une odeur désagréable. Si on a le style facile on écrira qu’elle ressemble à « un ours mal léché ». Si on veut faire un effort on dira: « un saltimbanque de laine salement vêtu ». Si on s’appelle Mika Biermann, on écrira: « on dirait un forgeron invité à la remise de diplôme de sa nièce. Le monde a déposé sa poussière sur l’homme ». Là est toute la différence. Là est tout l’intérêt de ce court texte magnifique. L’homme pataud, se prénomme Paul, appelons le avec l’auteur « Peintre Paul ». Il part avec un chien sur le motif. Peut être va t’il s’arrêter à la carrière de Bibemus? Ou devant la silhouette d’un cyprès? Il choisit finalement les lointains, les silhouettes de montagnes qui sous son pinceau vont prendre des teintes empruntées à la couleur prune, la couleur préférée de Paul, au bleu, au noir. La tâche de peindre pour peindre une tache.

    Puisqu’il est taiseux, on le suit, Paul, et on commente. Le peintre fait des exercices de style concentré sur ses cônes, ses sphères, ses cylindres. L’écrivain cisèle ses mots pour raconter un homme qui parle peu. Pour ne pas le déranger on va l’accompagner ce taiseux, trois jours, trois petites journées, histoire de ne pas se faire jeter comme un voyeur que nous pourrions devenir. Il ne vaut mieux pas s’attirer la colère de « Peintre Paul », il serait capable de nous jeter à la figure son chevalet et même ses tubes de couleurs qui lui permettent de quitter l’atelier pour peindre en plein air. Il est susceptible. Et colérique.
    Le deuxième jour, il reçoit la visite du docteur Gachet ce médecin d’Auvers sur Oise qui lui parle d’un hollandais à l’oreille coupée. Et puis il rencontre une sphinge, un faune, une muse mais surtout la Rotonde, une jeune femme allongée le long d’un talus. Elle va lui bouleverser la vie, la Rotonde, ou du moins, lui ôter quelques heures parmi celles consacrée à saisir le paysage ou à composer quelques natures mortes aux pommes et au couteau. Elle est allongée et quelque chose dans son corps dit qu’elle ne bougera plus. Plus jamais. Cela perturbe Paul. Son fils venu de Paris, et dont il souhaite être appelé « père » et non « papa », l’a moins dérangé. Comment faire face à la vie, à la mort quand on consacre son temps à chercher l’équilibre dans le paysage, à percer le secret d’un reflet moiré d’un couteau sur une table et que les gens, les autres, vous dérangent? Même Renoir agace. Alors que faire? Laisser tremper ses pinceaux un peu plus longtemps dans la térébenthine? Ou agir?

    « Peintre Paul » cherche un style, ce style que Mika Biermann a trouvé avec ses mots, ses phrases, qui ne montrent pas des couleurs mais les pensées intimes d’un homme qui se dévoile pudiquement devant nous au fil des paragraphes. Bourru, asocial, égocentrique, misanthrope, rien exactement de tout cela, mais un peu de tout cela, qui mélangé sur la palette des pages de l’écrivain, construit une silhouette inoubliable, celle d’un « artiste peintre », pas d’un peintre en bâtiment. « Question de taille de pinceau ».

    La prochaine fois que vous irez au musée et que vous tenterez de percer l’autoportrait et le regard sombre et noir d’un homme barbu, chauve, dont le cartouche du tableau vous précisera qu’il s’agit de Paul Cézanne, né à Aix en Provence en 1839 et mort dans la même ville en 1906, vous aurez compris quelque chose de ce sacré bonhomme. Vous aurez le sentiment d’avoir percé un peu de son mystère. De son regard. Celui qu’il a embrouillé avec la pointe de ses pinceaux.