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Kiruna

Maylis de Kerangal

La Contre Allée

  • Conseillé par (Libraire)
    30 novembre 2020

    Dans les entrailles du capitalisme

    Dans le cadre d'une résidence littéraire, Maylis de Kerangal, l'autrice de Naissance d'un pont, s'est envolée pour Kiruna, en Laponie suédoise. Ce territoire désigne à la fois la plus grande mine de fer de au monde et la ville qui en dépend.

    "J'ai voulu descendre dans la mine, passer la tête sous la peau de la planète comme on passe la tête sous la surface de la mer afin d'entrer dans une autre réalité aussi déterminante et invisible que l'est l'intérieur du corps humain. J'ai voulu vivre cette expérience, j'ai voulu l'écrire : je suis partie à Kiruna. "

    Relatant ses impressions et ses rencontres dans ce carnet de bord, elle interroge la relation d'interdépendance entre la ville et la mine à travers les époques, un site industriel au besoin de main-d'œuvre toujours constant pour fouiller plus profondément la terre.

    " Aujourd'hui, la zone de travail de la mine descend à 1365m de profondeur, distance calculée depuis le sommet de la Kiirunavaara."

    Dans la veine de la narrative non-fiction, Maylis de Kerangal dévoile avec brio la conjonction entre le développement du capitalisme industriel et l'aventure individuel qui ont contribué à façonner ce gigantesque gouffre en activité depuis plus d'un siècle et menaçant aujourd'hui d'engloutir la ville de Kiruna au point de nécessiter son déménagement.

    Elle dresse aussi une galerie de portraits féminins épatants, d'Ing-Marie la foreure de mine à Alice la géologue française, pointant l'ambivalence de la mine dévoreuse de chairs autant que facteur d'émancipation.

    Un texte passionnant que j'ai lu d'une traite, tant j'ai été embarqué par l'enquête étourdissante de cette autrice dont le talent pour l'exploration et la description de lieux à la forte charge symbolique est ici éclatant.

    Martin

    " Depuis quelques années, les Sàmis multiplient les mouvements de protestation, et dénoncent la mainmise économique et politique de LKAB sur leur territoire. À rebours de la première mondiale fascinante vantée dans les médias, ils voient le déménagement de Kiruna comme une conséquence sinistre de la prolifération minière et de la pression ultralibérale que connaît la région. La preuve topographique que l'on est ici dans l'une des ruines du capitalisme. "


  • Conseillé par
    8 avril 2019

    Le dernier roman de Maylis de Kerangal Un monde à portée de main m’avait laissée dubitative. Bien sûr, j’avais eu plaisir à retrouver son écriture mais la technicité qu’elle avait réussi à rendre passionnante dans Naissance d'un pont m’était apparue aussi froide que la lecture d'un mode d’emploi.

    Avec Kiruna, à mi-chemin entre le carnet de voyages et le reportage littéraire, la magie a de nouveau opéré.

    "J’ai cherché une mine comme on cherche un point de passage dans le sous-sol terrestre, un accès aux formes qui le structurent, aux matières qui le composent, aux mouvements qui l’animent, à ce qu’il recèle de trésors et de ténèbres, à ce qu’il suscite comme convoitise et précipite comme invention. Je l’ai cherchée comme on cherche la porte de cet espace inconnu sur quoi s’appuient nos existences, espace dont je ne sais s’il est vide ou plein, s’il est creusé d’alvéoles, de grottes ou de galeries, percé de tunnels ou aménagé de bunkers, s’il est habité, s’il est vivant. J’ai voulu vivre cette expérience, j’ai voulu l’écrire : je suis partie à Kiruna. "

    Si Kiruna est une ville de la Laponie suédoise, c'est surtout avant toute chose une mine. La ville est venue se greffer à ce poumon industriel et à sa population de miniers. La mine centenaire est devenue souterraine depuis 1965 et désormais elle ne peut plus supporter désormais le poids de la ville et de ses infrastructures. Alors un projet aussi fou qu’il puisse apparaître est né, celui de déplacer la ville : "Intimement liés, les destins de la mine et de la ville sont désormais pris dans une même impasse : si la mine continue de s’étendre sans que rien ne bouge, les habitants, menacés, finiront par vider les lieux. Or la mine a besoin des hommes pour fonctionner, et du cadre de vie que leur donne la ville pour les retenir dans cette région des confins, enfouie dans la nuit polaire ou baignée du soleil de minuit."

    Dans les entrailles, au cœur de la mine mais aussi à l'extérieur, l'auteure hume l’atmosphère qui y règne, s'en imprègne. De ses rencontres et de l'histoire minière, Maylis de Kerangal ausculte et sonde les lieux. Sans que cela soit indigeste, elle nous restitue les contextes historique et économique par petites touches. En captant les ambiances, elle nous dresse un portrait complet de Kiruna et lui confère une âme, la rendant vivante. Des premières cantinières dans ce milieu masculin à Ing-Marie foreuse de mine, on découvre également des femmes fortes dont certaines sont de véritables pionnières.
    Magnétique, charnel et saisissant avec des émotions et un vrai sens de la musicalité, ce livre est tout simplement superbe.