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Librairie N.

Vies parallèles

Conseillé par (Libraire)
30 novembre 2020

La liberté ou la mort !

" Ça faisait déjà deux heures que j'attendais dans la cage en bois avec les deux cents autres esclaves. Le port m'était inconnu avec quelque chose, pourtant, de familier ; je voulus demander le nom de l'île à celui qui se trouvait à côté de moi, mais il semblait avoir perdu connaissance."
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Ainsi débute Merci, un texte étrange et intrigant où le narrateur, esclave instruit, va fomenter une révolte contre son maître Hannibal et se trouver ensuite confronté aux effets catastrophiques de celle-ci.
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" On me choisit tout de suite, car j'étais en bonne santé et que mon aspect, lui, était des plus convenables, selon les dires de mon acheteur, un homme d'une cinquantaine d'années, chauve, sympathique, pas très grand et un peu gros, qui s'appelait Hannibal. "
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Une variation autour de la dialectique maître-esclave d'Hegel qui perturbe grandement notre définition de la liberté et nos habitudes romanesques. Mettant en place un dispositif narratif diablement inclusif, où les débuts de chapitres semblent se répéter inlassablement et où chaque objet, chaque nom propre (Hannibal, Ninive), apparaissent chargés de symboles et d'un sous-texte à analyser, forçant le lecteur à être constamment actif et aux aguets dans un monde insulaire proche mais aux contours flous.
. " Le lendemain, je me réveillai et vis le petit-déjeuner sur la table de nuit."
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Ni roman à thèse sur la liberté ni simple variation exotique et insulaire du réalisme magique sud-américain, Merci est une expérience de lecture dès son titre. . " Plutôt morts qu'esclaves ! "
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Ça peut s'arranger.

Martin

" Il me sembla alors approprié de m'adresser à eux, et je leurs dis la première chose qui me vint à l'esprit : que la voix de la liberté était dans nos cœurs, que la faire crier chaque fois plus fort était notre objectif et que mieux valait être mort qu'être un esclave. Il y eut un silence. Mal à l'aise, je décidai de crier sous forme de slogan la dernière chose que j'avais dite : "Plutôt morts qu'esclaves!" Je le criais une nouvelle fois, tout en regardant Hugo pour qu'il le répète avec moi. Ce qu'il fit, sur quoi un ou deux esclaves nous rejoignirent. Au bout de la cinquième, il y en avait déjà un certain nombre. À la dixième, nous le criions tous, exaltés: "Plutôt morts qu'esclaves !"

Conseillé par (Libraire)
30 novembre 2020

Santé !

" Tout le monde dit : le Kremlin, le Kremlin... J'en entends toujours parler et je ne l'ai jamais vu. Combien de fois déjà (un millier), soûl ou mal dessoulé, ais-je parcouru Moscou du nord au sud, d'ouest en est, d'un bout à l'autre, de part en part et au hasard : jamais je n'ai vu le Kremlin. "

Voici un texte un peu particulier. Cet écrit a circulé sous forme de samizdat en 1969, avant d'être traduit et publié pour la première fois hors URSS en 1976 en France, où il acquiert très vite un statut d'œuvre culte.

Moscou-sur-vodka nous narre les aventures éthyliques d'un narrateur, Vénitchka, double de l'auteur, tentant désespérément de se rendre en train de Moscou à la ville de banlieue de Pétouchki pour y retrouver son amante, rencontrée un soir de beuverie... Les arrêts de ce train de banlieue vont scander les différentes étapes du récit autant que les litres d'alcool, brouillant les repères spatio-temporels et instillant le doute sur la destination finale de ce train ivre.

Soûl, il n'en oublie pas pour autant de disputer auprès de contradicteurs imaginaires et de passagers tout aussi ivres que lui sur la destinée de la Russie et l'importance de l'alcool dans son histoire.
Car dans sa bouche, l'alcoolisme devient un signe d'honnêteté et d'intégrité intellectuelle autant qu'un palliatif à sa solitude existentielle.

Désespéré, il ne l'est que d'autant qu'il est sobre. Dans un pays et un régime qui rejettent toute sorte de scepticisme et de repli intérieur, nul ne peut se moquer ouvertement des idoles et des axiomes constituant la société. Reste la rêverie avinée.

Vénédict Erofeiev ne s'attaque pas seulement au régime communiste, c'est la Russie éternelle et ses statues littéraires et religieuses qu'il déboulonne par son irrévérence.

Ce" poème tragique", selon Erofeiev, est la grande odyssée d'un homme maudit en décalage complet, une "soûlographie" qui n'est pas sans rappeler Malcolm Lowry. Un texte d'alcoolique dans un pays d'alcooliques, quoi de plus réjouissant ?

Santé.

Martin

" Bref, notez maintenant la formule de la" Myrrhe de Canaan". On ne vit qu'une fois (dixit Nicolas Ostrovski) ; autant ne pas se tromper dans les formules.
Alcool dénaturé 100 g
Bière veloutée 200 g
Vernis pur 100 g "

Conseillé par (Libraire)
30 novembre 2020

Le bonheur

" Quand mon état s'est amélioré, j'ai pensé à ce qui avait été le plus beau jour dans ma vie. Je ne pensais pas à l'amour, ni à mes pérégrinations à travers le monde. Je ne pensais pas à mes survols nocturnes d'océans, ni à ma sélection en hockey sur glace dans l'équipe Sparta de Prague. Je repartais vers les ruisseaux, les rivières, les étangs et les barrages à poissons ; je me rendais compte que c'était là ce que j'avais vécu de plus beau. "

Aujourd'hui je voudrais vous faire découvrir un trésor. Ce trésor ce sont les deux ouvrages d'Ota Pavel (1930-1973), traduits et publiés en 2017 et 2018 grâce au patient travail des éditions Do, salué par le Prix Mémorable 2017.
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Ota Pavel, né d'un père juif et d'une mère catholique fut avant d'écrire mineur, représentant de commerce, entraîneur au Sparta Prague et journaliste sportif. Enfin un remarquable pêcheur, passion transmise par son fantasque de père, hableur mais aussi figure de courage, et surtout champion de vente d'aspirateurs et de réfrigérateurs Electrolux dans l'entre-deux-guerres.
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Comment j'ai rencontré les poissons est une sorte de chronique familiale où la figure du père domine, dans le cadre bucolique de la campagne tchèque d'avant l'invasion allemande.
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Une tendresse et une joie de vivre communicative émanent de ces pages malgré les épreuves que cette famille et ce pays auront traversées dans l'histoire. Pas de pathos, pas de fausses notes, aucun misérabilisme trop facile.

Rédigé en hôpital psychiatrique, ces nouvelles d'Ota Pavel possèdent l'humour et l'auto-dérision des grands clowns tristes, célébrant notamment les miracles de la nature.

Martin

" Juste avant Noël, papa fut convoqué au camp de concentration.
La vie était déjà plutôt difficile, maman se lamentait qu'elle ne pourrait pas lui donner grand-chose à emporter.
Deux jours avant son départ, papa pelletait la neige devant la maison. Nous devions alors un impôt au Conseil juif, nous attendions une visite de ce Conseil. Une voiture s'arrêta devant la maison, trois messieurs en civil en descendirent et le premier lança aussitôt :
- Regardez ce miracle, un Juif qui travaille.
Et papa :
- Alors que vous, vous vous la coulez douce.
Et le monsieur :
- Qui croyez-vous que nous sommes ?
Papa les examina, il y en avait un qui avait l'air très juif et il dit :
- On dirait tout le Conseil juif réuni.
Le monsieur estima à son tour que c'en était trop, il sortit son insigne et dit :
- Geheime Staatspolizei.
La gestapo donc, se dit papa et il répondit tout haut :
- Alors salut au Kaiser.
Il avait dû plaire aux agents de la gestapo parce que l'un d'eux, un moustachu, dit :
- Vous n'êtes visiblement pas un dégonflé alors venez nous montrer ces fusils et ces mitraillettes que vous cachez chez vous. "

Ou les aventures de nevzorov

L'Arbre vengeur

9,00
Conseillé par (Libraire)
30 novembre 2020

Destinée manifeste

Semion Ivanovitch Nevzorov est un employé de bureau consciencieux dans la Russie tsariste. Parce qu'une vieille tsigane lui a prédit un destin extraordinaire, les convulsions de la révolution russe et un sérieux opportunisme vont lui servir de tremplin pour assurer une réussite sociale aussitôt contrariée par les événements.

Multipliant les identités douteuses ou prestigieuses, comte Nevzorov puis Simon Navzaraki, tour à tour associé d'une salle de jeu clandestine, châtelain d'un domaine ukrainien incendié, comptable d'un ataman (chef de guerre) aux velléités anarchistes, agent du contre-espionnage blanc à Odessa, Nevzorov va vivre en 250 pages mille vies devant un lecteur happé par le tourbillon des événements et la chance insolente de ce trompe-la-mort énergique.

Un excellent roman-feuilleton d'un auteur (1883-1945) inconnu en France car proche du pouvoir soviétique, et qui m'a plongé dans la guerre civile russe sous un angle inédit. Celui d'un ambitieux, caricature du parvenu contre-révolutionnaire dont les tours du destin n'assèchent jamais une soif de réussite insatiable. Où l'on découvre de très belles pages décrivant le microcosme d'une Russie Blanche sûre d'elle-même malgré la déroute, refaisant inlassablement l'Histoire face à aux bolcheviques triomphants pour tromper son désarroi devant l'exil.

Martin

Conseillé par (Libraire)
30 novembre 2020

Retour dans les Contrées

" J'étais fatigué des livres, de ceux bien trop nombreux que j'avais lus autant que du seul que j'ai écrit et auquel il me semblait avoir sacrifié toute ma jeunesse."

Pas moi. Plus d'an après ma lecture du Veilleur du jour et de Les Barbares et de La Barbarie (regroupés en un volume en Folio sous le titre Un homme plein de misère), je poursuis mon exploration du cycle des Contrées avec la nouveauté des éditions Le Tripode, La Clef des Ombres (réédition revue d'un texte de 1991).

La Clef des Ombres introduit la sous-préfecture de Journelaime, au nord de Terrebre, où Brice Cléton, jeune fonctionnaire archiviste, souffreteux et informe, va se voir confier la mission d'exhumer un dossier sensible. Cette tâche qui entre en résonance avec les transformations politiques de l'empire de Terrebre va entraîner chez lui une mutation aussi bien intellectuelle que physique. Troisième roman du Cycle, l'ouvrage dispose d'une très belle carte des Contrées.

Une pièce de puzzle supplémentaires qui s'insèrent parfaitement dans l'œuvre d'orfèvre, envoûtante et tentaculaire, de Jacques Abeille.

Martin

" Il répète ces mots, non plus en les laissant éclater dans l'air poussiéreux comme s'ils lui échappaient mais, encore que toujours à haute et intelligible voix, avec calme et pondération - presque comme s'il les avait voulus - et, en quelque sorte, pour les scruter et en ressaisir l'intention. Il les reconnaît pour siens - en cela réside leur étrangeté - et dans cette impression encore, tenace et confuse, de répondre à une question instante qu'il porte en lui sans savoir la formuler. "