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Conseils de lecture

9,40
Conseillé par (Libraire)
17 novembre 2020

Plongée dans les entrailles de La Défense

Bastien Regnault n'a a priori rien à faire au quartier de la Défense. Musicien accordéoniste, intermittent, sa zone de survie demeure l'est parisien. Mais lorsque sa sœur jumelle Diane disparaît subitement, il décide de partir sur ses traces, le menant à Nanterre.

Une rapide enquête l'oriente vers la société de nettoyage Neo Clean, façade d'une société secrète recrutant principalement chez les happy few de la capitale, et dont la finalité et l'histoire semblent intimement mêlées à celles du célèbre quartier d'affaires. Bastien n'hésitera pas à se perdre dans le labyrinthe de la Défense et dans les rêts de cette secte pour tenter de retrouver sa sœur.

Brillante idée que d'imaginer un thriller angoissant et horrifique, aux accents lovecraftiens, dans un lieu du pouvoir économique que l'on penserait transparent, à l'image de cette dalle et de sa Grande Arche. C'est pourtant le propre des grands projets que d'être le lieu de luttes d'influence et de visées contraires entre puissants, loin derrière les beaux discours officiels sur les créations d'emploi et la maîtrise de l'espace urbain.
Sous l'aspect lisse et minéral de sa dalle et ses immeubles de bureaux se vidant à la nuit tombée, se cache un entrelacs de tunnels, de corridors, de salles désaffectées propres à l'exploration urbaine. De là à imaginer ce qui pourrait s'y cacher... le lecteur franchit ce pas allègrement.

Après l'Autre côté chez Rivages, voici une nouvelle lecture de cet auteur synonyme de grande réussite. Pleinement convaincante, la plongée de Bastien dans l'horreur est parue directement en poche. Pour un novice du genre comme moi ce fut un régal de cohérence et un grand frisson sur certaines scènes.

Martin

" Ensuite, il surfe toute la soirée sur Wikipedia, cliquant de lien en lien pour essayer de reconstituer une histoire de la Défense. Aucun site, même du plus paranoïaque des complotistes, n'évoque l'idée d'un dessein occulte dans l'implantation du quartier d'affaires. D'après ce qu'il comprend, le choix de ce coin des Hauts-de-Seine dans les années soixante à été dicté par la taille des lots disponibles à la construction : une faible densité d'habitations et de commerces, pas mal de manufacturés, de très grands bidonvilles. Au-delà de quelques photos d'explorateurs infiltrés dans les vides de la dalle, le quartier semble singulièrement pauvre en légendes urbaines.
Il consacre le reste de la nuit aux énergies invisibles, ki, prana, feng shui, ley lines et cheminées cosmo-telluriques, dont plusieurs heures à visionner les monologues hallucinés du Christ cosmique de Bugarach. Bastien n'en retire rien, si ce n'est la confirmation de la fascination pour Internet, l'immensité de ce que l'on peut y trouver. "


20,00
Conseillé par (Libraire)
17 novembre 2020

Portraits d'une province méconnue

" - Maman est dans le ciel.
- Ah bon ?
- Non. C'est une blague.
(Gabrielle, humour)"

Il est assez rare d'entamer un texte et de ressentir une immédiate sympathie pour son auteur et son propos. C'est ce qui s'est passé pour moi dès les premières pages de ce récit.
Résumons.

Un écrivain, débarquant au Québec pour suivre son amoureuse, se retrouve catapulté dans l'univers impitoyable des garderies pour enfants. N'ayant aucune expérience ni diplôme dans ce métier, il va se retrouver confronté au fil de ses remplacements à des situations tour à tour ubuesques et comiques.
Une place privilégiée pour observer et tirer des enseignements sur un Québec en lutte contre l'austérité économique et sa classe populaire, composite, riche de ses métissages et de sa diversité linguistique.

"J'aime quand tu m'appelles Pierre, Gaëtan. Et j'aime quand tu me dis "bon matin". On n'a pas ça chez nous, "bon matin". C'est pour ça qu'on a des matins de merde. La bonne humeur québécoise, c'est quelque chose. C'est bien plus qu'une curiosité touristique. C'est un impératif moral, quasi religieux, un truc de pionnier. "Le cœur vaillant et débonnaire de notre peuple" m'a dit le daron de ma blonde, la première fois que je l'ai rencontré. Ça fout la pression. Tu te sens tout petit tout laid avec ta grosse massue plaintive."

Paru juste avant le confinement, voici un texte d'une vitalité et d'un humour communicatifs, qui, au-delà des clichés sur une région francophone très mal connue et reconnue par nous autres français, recèle une grande finesse d'analyse. Il serait définitivement dommageable de passer à côté d'un texte aussi drôle qu'intelligent.

Martin


21,00
Conseillé par (Libraire)
17 novembre 2020

La mémoire des vaincus

Madrid, 2010. Matias Bran semble bien décider à en finir avec la vie. L'histoire de sa famille tomberait ainsi dans l'oubli et les limbes de l'Histoire.
Mais c'est sans compter une certaine valise qui va révéler ses secrets aux lecteurs.

Ce livre Ier s'intitule Les Usines Weiser (1898-1920) et débute avec l'histoire de Miklos et Orzse Brasz, enfants de paysans hongrois paupérisés. Obligés de fuir la disette, ils atterriront sur l'île Csepel à Budapest et deviendront ouvriers dans une usine d'armement.

Dans ce qui se nomme encore Empire austro-hongrois, ils apprendront la solidarité auprès de leurs camarades de misère en même temps que la lecture dans un certain manifeste...

La Première Guerre Mondiale fera voler une première fois cette belle unanimité de classe, avant que la révolution bolchevique et ses développements avec la République des Conseils de Bela Kun, écrasée par les troupes de l'Entente, ne finissent de disperser nos protagonistes aux quatre coins de l'Europe.

Ne tournons pas autour du pot, voici un texte bouleversant et magnifique de bout en bout. Placé sous le double patronage de Rosa Luxembourg et Walter Benjamin, ce roman, à la manière d'un théâtre d'ombres, invoque les mânes des perdants de l'Histoire, simples ouvriers luttant pour leur dignité, refusant la barbarie de la guerre puis l'humiliation des traités des grandes puissances.

Le classique à lire (un 1er mai) du fond éditorial des excellentes éditions La Contre Allée.

Martin


Christian Bourgois

Conseillé par (Libraire)
17 novembre 2020

Les souffrances de l'inventeur

" - C'est que, voyez-vous, je suis écrivain... finit-il par avouer, rempli de confusion, d'une voix tremblante et les larmes lui montant aux yeux.
Et en même temps, il s'efforçait de sourire, et il offrait un visage implorant comme pour signifier : "Ce n'est pas si grave, après tout, regardez-moi, je travaille à mains nues."
.
Un homme, cherchant un asile après une vie de souffrances, arrive dans une vallée reculée, soumise à un cycle de saisons particulier : la pluie et le gel. Siméon, c'est son nom, cherche à mettre par écrit les événements qui l'ont abîmés pour redonner un sens à ce monde étrange et le remettre en ordre. Rien de moins que cela. Mais les habitants du village et cet univers impie vont se rappeler douloureusement à lui...
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On ne peut s'empêcher de frissonner physiquement d'effroi et de dégoût devant la descente aux enfers de Siméon. Lui qui voulait purifier le monde, lui rendre sa beauté, le voilà rattraper à son tour par la pourriture peuplant ce monde, pestilence qui le gagnera et signera son démembrement. Avec malice et un sens du grotesque achevé, l'auteur nous campe un aspirant-écrivain empêtré dans son idéalisme messianique, entêtement qui confine à l'aveuglement stupide. Ç'en est magnifique de noirceur, de méchanceté et de cruauté.
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" Je passerai le col, je découvrirai d'autres saisons. Et je serai récompensé. Oui, car permettez-moi de l'affirmer encore, pour tout ce que j'ai enduré ici et ailleurs, je mérite récompense. Et je garde, excusez-moi, en dépit de tout, une espérance dont vous n'avez pas idée. "
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Ce classique, jamais paru en poche, sort pour la première fois dans la collection Titres des éditions Christian Bourgois Éditeur, à la maquette fraîchement refondue. L'occasion d'enrichir votre bibliothèque avec cet astre noir inclassable, qui peuplera votre esprit de scènes remuantes en même temps qu'il donne à réfléchir sur le rôle et les prétentions de l'écrivain.

Martin

" - Va falloir encore faire le ménage ! dit-il. Mais on n'en finit pas cette année ! Non, mais qu'est-ce qui se passe ? Que d'événements... que d'événements ! On t'l'avait dit pourtant, petit agneau, on t'l'avait dit... Tu voulais inventer des saisons, du beau temps pour tout le monde... Tu voulais quoi ? Enrichir le monde avec tes monuments, avec tes petits paniers de voyelles et d'consonnes... Et pis quoi encore ?... L'amour au bord des fontaines, des papillons pour les collectionneurs ? Ça s'peut pas, par chez nous... Et je m'suis battu pour toi... Rien à faire... C'est Pourriture qui gagne, et qui fait la loi ! On t'l'avait dit, petit agneau... C'est pas habitable, c'te putain de terre... Laisse-moi dormir. "


9,00
Conseillé par (Libraire)
17 novembre 2020

Jouer le jeu

" - Quelle est l'idée, au juste ? demandais-je. Devrais-je me mettre sur la table comme une bourse de pièces d'or ou dois-je me tenir à l'écart jusqu'à ce que vous ayez terminé ?
J'éprouvai le besoin de respirer à fond.
- Croyez-vous réellement que je sois disposé à me prêter à votre jeu ?
- Je crois que oui, répondit la comtesse. Je crois que vous accepterez lorsque vous saurez ce que, pour ma part, j'ai l'intention de miser. "
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Après l'envoutant et sublime La Taverne du Doge Loredan, les éditions Anacharsis ont eu la riche idée de poursuivre la publication en poche de l'œuvre de l'écrivain vénitien Alberto Ongaro (décédé en 2018) avec La Partita, paru en février 2020.
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Ce roman d'aventure nous place dans les pas d'un jeune aristocrate vénitien, Francesco Sacrado, revenant d'exil pour découvrir la Sérénissime étrangement piégée par la glace. Pire, il découvre que son père a joué et perdu toute la fortune familiale auprès de la mystérieuse (et borgne, donc) comtesse allemande Mathilde von Wallenstein.
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Jouant sa vie et la liberté d'en jouir contre la fortune familiale et perdant à son tour face à la diabolique comtesse, Francesco n'aura de cesse de fuir les sbires de cette dernière. La partie prendra un tour plus fantastique où l'imagination permettra à notre héros d'anticiper les coups de l'adversaire.
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Encore une fois l'auteur déroule sa partition à partir d'une idée géniale : ce roman n'est rien d'autre qu'une partie d'échec ou les pions se déplacent dans l'ombre sans jamais se révéler, laissant planer un doute sur la matérialité des faits décrits.
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Le lecteur ne peut s'empêcher de sourire et d'adhérer pleinement au postulat de départ, simplement pour voir jusqu'où Alberto Ongaro va continuer de jouer cette partie avec nous.

Martin

" Je la regardais, perplexe. Ainsi, pensais-je, ces choses arrivent, elles arrivent peut-être réellement, même si nous sommes habitués à croire qu'elles n'arrivent qu'en dehors de nous, devant nous ou à nos côtés, mais de toute façon fort loin, dans la dimension fantastique du théâtre, de la littérature ou des légendes dont on ignore l'origine. Elles m'arrivaient à moi, elles étaient en train de m'arriver et je devais donc obtenir de moi-même une sorte de suspension de mon incrédulité et admettre comme vrai ce qui m'apparaissait comme incroyable. "